Marmoutier, ville d'histoire
L'histoire ancienne : de Leobardi cella à Marmoutier
L’histoire de Marmoutier est intimement liée à celle de son abbaye. Des fouilles archéologiques ont montré que le site est occupé depuis le Néolithique mais c’est grâce à la création et au développement considérable du monastère que la cité prend pleinement de son essor.
L’abbaye de Marmoutier figure parmi les monuments religieux les plus anciens d’Alsace. Au VIe siècle, début de l’ère chrétienne, des moines partis d’Irlande suivent saint Colomban jusqu’en Gaulle afin de christianiser les populations païennes. Au terme de cette périlleuse entreprise se trouve les Vosges où saint Colomban et ses disciples installent leur influence. De 575 à 596 Childebert II, prince mérovingien et roi d’Austrasie, gouverne la province qui deviendra plus tard l’Alsace. Il fait à ce titre d’importantes donations à la communauté religieuse récemment fondée par Saint Léobard, disciple de saint Colomban. Après avoir fondé Leobardi Villa, aujourd’hui Lochwiller, saint Léobard créé une abbaye dans laquelle il s’installe définitivement et qui devint plus tard l’une des plus riche et des plus influente d’Alsace. Dédié à saint Pierre et saint Paul, l’établissement reçoit le nom de Leobardi Cella. Une petite communauté se forme à proximité, comme à l’époque autour de tous les lieux sacrés. Ainsi naît le village qui bien plus tard deviendra Marmoutier.
Vers 670, Marmoutier est complètement détruite par un violent incendie provoqué par la foudre.
En 717, les bâtiments, à peine reconstruits sont à nouveau ravagés par le feu à cause des imprudences des soldats de Charles Martel. Ils sont reconstruits par l’Abbé Maur qui obtient une aide financière du roi franc Théodoric IV. Il y introduit la règle bénédictine à la place de la règle de saint Colomban, jugée trop austère. En 724, l’abbaye ainsi que le village attenant prennent le nom de Mauri monasterium, le monastère de Maur, qui deviendra plus tard Maurivilla, Mormünster, Maursmünster et enfin Marmoutier. A partir de cette période, le monastère connaît un véritable essor : ses étroites relations avec les plus hautes instances politiques lui valent de figurer parmi les abbayes impériales, et ses abbés portent le titre de princes du Saint-Empire.
En 814, Benoît d’Aniane, conseiller très influent de Louis le Pieux, fils de Charlemagne, se rend sur ordre de l’empereur à Marmoutier où il se voit confier la direction du monastère durant dix mois, entre 814 et 815. Il y introduit de nouvelles règles, lui assurant un rayonnement spirituel et religieux sans précédents.
En 824, un troisième grand incendie ravage l’abbaye et ses titres de propriété. L’abbé Celse sollicite l’aide de l’empereur Louis le Pieux et l’église est reconstruite en 828. Elle passe alors, à la demande de l’empereur, sous l’autorité de l’évêché de Lorraine, dirigé par Drogon, évêque de Metz et demi-frère de Louis le Pieux. L’abbé Celse reconstitue de mémoire une carte avec les territoires donnés au monastère par les rois Childebert II vers 590 et Théodoric IV en 724. Ce vaste domaine porte le nom de « Marche de Marmoutier » ou « Marche d’Aquilée ». Le document, aujourd’hui disparu mais dont une copie de 1128 est conservée aux Archives Départementales du Bas-Rhin, est appelé la « Charte de l’abbé Celse ».
En 925 l’Alsace est rattachée pour sept longs siècles au royaume de Germanie qui devient en 762 le Saint Empire Romain Germanique.
La fin du Xe siècle est marquée par un renouveau de la foi. Pour répondre à ce regain de spiritualité, L’abbé Oswald (930-960) fait construire une nouvelle église plus spacieuse, consacrée en 971 par Erkenbald, évêque de Strasbourg.
Au début du XIIe siècle, l’évêque de Metz charge les seigneurs de Geroldseck de veiller sur le monastère et de le protéger contre les convoitises. Cette noble famille devient ainsi « avouée », ou protectrice de l’abbaye et reçoit de l’évêque une propriété sur une hauteur avoisinante pour y construire son château. Le même privilège est donné à une famille parente, les Ochsenstein, qui s’installe un peu plus au sud sur la crête du massif vosgien. Une troisième famille, les Lützelburg, s’approprie des terres situées sur le territoire de la Marche et le compte Pierre de Lützelburg y construit un château. Une partie en fut restituée après sa mort par son fils Reginald sur l’injonction de sa mère, la comtesse Ita.
Au XIIe siècle, Marmoutier connait la période la plus prospère de son histoire et compte parmi les plus brillantes maisons religieuses d’Europe. Devenant un centre de pèlerinage de plus en plus important, l’abbatiale devient trop petite pour pouvoir accueillir les nombreux pèlerins et doit être agrandie. Ainsi, un nouvel édifice offrant une plus grande capacité d’accueil est construit vers 1140 sous la direction de l’abbé Adelon II. L’imposant massif occidental de style roman, élément majeur du patrimoine culturel et religieux alsacien, date de cette époque. Par ailleurs L’abbaye acquière dans des conditions très avantageuses des terres vendues par les seigneurs alentours pour financer les croisades en Terre Sainte et possède des biens, des droits ou des rentes dans 80 localités d’Alsace et de Lorraine. En 1115 est fondé le Couvent des moniales du Sindelsberg et en 1123, le prieuré de Saint-Quirin est rattaché à l’abbatiale.
Vers 1220 divers dégâts touchent le couvent de la nef. S’en suit une reconstruction partielle de l’abbatiale dans le nouveau style gothique. Le monastère connaîtra par la suite et jusqu’au début du XVIIIe siècle une période de décadence.
En 1525, Marmoutier subit les conséquences de la Guerre des Paysans. La horde paysanne pille le couvent et tente de détruire l’abbaye. La longue remise en état est en partie financée par le Duc de Lorraine.
La Guerre de Trente ans (1618-1648) lui réserve un sort identique avec la destruction partielle de l’intérieur en 1621 ainsi que l’occupation et le pillage des bâtiments conventuels par les troupes du général Mansfeld.
En 1648, l’Alsace devient française à la suite du traité de Westphalie. Le Monastère de Marmoutier, dont le pouvoir et les terres avaient déjà été peu à peu accaparées par ses avides protecteurs au cours des siècles précédents, se trouve dépossédé de presque tous ses biens. L’abbé s’adresse alors aux autorités temporelles pour retrouver le privilège de ses domaines. En 1671, Une partie de ses revendications est résolue par l’accord relatif de l’avouerie conclu avec le prince Egon von Fürstenberg.
A partir de 1705, l’abbaye renaît peu à peu et retrouve une grande partie de ses possessions d’origine. La Marche prend alors le nom de Baillage de Marmoutier. La richesse retrouvée, Les abbés Anselme Moser et Placide Schweighaeuser entreprennent de grands travaux et font entrer le monastère dans une ère de prospérité : mise en place de l’orgue Silbermann (1709 à 1710) et d’un nouveau dallage (1715), reconstruction des bâtiments conventuels, granges, caves et celliers (1745-1751) et d’un nouveau chœur (1761 à 1768). Le monastère retrouve une grande notoriété spirituelle, se distinguant entre autres par ses cabinets de science, d’histoire naturelle et de physique comportant des collections de graines, d’œufs d’oiseaux, de bois, un herbier, etc. Il possède également une riche bibliothèque pourvue notamment d’éditions des pères latins et grecs, d’une Bible de 1470 et d’une Bible polyglotte d’Anvers.
Néanmoins, la Révolution stoppe ce nouvel essor. Ainsi, le 2 novembre 1789, le gouvernement révolutionnaire décrète la confiscation des biens de l’abbaye pour que la République puisse en tirer parti, et les propose à la vente. La Convention voyant dans les moines une menace pour la République ordonne leur expulsion par le décret du 24 novembre 1792. Par ailleurs, l’église paroissiale située près du cimetière est devenue vétuste et nécessite d’importants et couteux travaux de consolidation que la commune ne peut prendre en charge. Le maire obtient donc de la Direction Départementale, le 16 avril 1792, l’autorisation de faire célébrer le culte paroissial dans l’église abbatiale. L’église paroissiales est alors mise à la vente et démolie et les recettes sont employées pour réparer l’église abbatiale Saint-Martin qui, par un décret de 1805, devient l’église paroissiale Saint-Etienne.
A la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, trois incendies dévastateurs éclatent, réduisant en cendre une grande partie du monastère. La nuit du 26 au 27 octobre 1887, le palais abbatial qui jouxtait autrefois l’église ainsi que toute l’aile nord des bâtiments conventuels sont réduits en centre. Seule l’échauguette du palais abbatiale est épargnée. C’est à la suite de ce sinistre qu’est créé quelques mois plus tard, en 1888, le corps des sapeurs-pompiers de Marmoutier. Le 18 mars 1907, la moitié de l’aile sud et six mois plus tard, le 28 septembre 1907, tout le côté sud-est partent en fumée, excepté une maison d’angle. Ainsi, en l’espace de 20 ans, une grande partie du patrimoine architectural du monastère fut définitivement perdu. De nos jours, des éléments architecturaux des anciens bâtiments conventuels sont encore visibles, piégés dans la maçonnerie de certaines maisons.
Les périodes de guerre
Guerre de 1870
Le 19 juillet 1870, la France déclare la guerre à la Prusse. Les défaites des troupes françaises s’enchaînent et le sort de l’Alsace se trouve rapidement scellé. A la suite du traité de Francfort du 10 mai 1871 L’Alsace et la Moselle sont cédées à l’Empire allemand et deviennent le Reichsland Elsaß-Lothringen (territoire d’empire d’Alsace-Lorraine). Durant la période de 1870 à 1918, Marmoutier, comme le reste de l’Alsace est sous domination allemande. La ville se modernise considérablement. Ainsi, les « Chemins de Fer de l’Empire » y construisent la gare, inaugurée en 1877, qui dessert la ligne Saverne-Molsheim et permet la réception et l’envoi de marchandises industrielles. Elle permet à Marmoutier de sortir de son isolement et de s’industrialiser. En 1909, les habitants découvrent l’éclairage public. Tous les soirs, un veilleur ouvre la manette d’alimentation des lampes et la ferme à l’aube. Les premiers raccordements sont effectués dans les maisons, jetant au placard les lampes à pétrole.
La Grande Guerre (1904-1918)
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. 380 000 Alsaciens et Lorrains sont enrôlés dans l’armée allemande. L’Alsace et la Moselle connaissent alors de terribles combats (Bataille de Linge, Hartmannswillerkop). Marmoutier subit de nombreuses pertes : 29 hommes ne revinrent jamais de la guerre. En novembre 1918, les troupes françaises entrent en Alsace et en Moselle. Elles rentrent à Marmoutier le 19 novembre à 18h par la route de Dimbsthal. Les anciennes régions perdues repassent sous domination française. La langue française est réintroduite comme langue à usage collectif, langue officielle et langue nationale.
La Seconde Guerre mondiale (1939-1945)
L'annexion
Lorsque la guerre est déclarée, une très grande partie des habitants de la région est évacuée dans le Sud-Ouest de la France. Après la Blitzkrieg, l’Alsace-Moselle est annexée de fait à l’Allemagne d’Hitler fin juillet 1940 et forme avec le Pays de Bade le Gau Baden-Elsaß avec pour capitale administrative Strasbourg. Les exilés rentrent pour la plupart chez eux et y subissent l’oppression nazie. Il est alors interdit de s’exprimer en français ou en alsacien. L’usage de l’allemand est obligatoire sous peine de sanctions.
En décembre 1940, près de 900 personnes de Saverne et environs dont 42 maurimonastériens, jugés trop Français par les occupants, sont expulsés d’Alsace et envoyés en zone libre dans le département du Tarn et Garonne. Les familles doivent quitter précipitamment leur domicile familial avec un minimum d’argent et de bagages, laissant derrière eux leur maison ou appartement contenant tous leurs biens personnels.
La déportation des juifs de Marmoutier
Les juifs de Marmoutier sont expulsés en France par les nazis en 1940 et l’intérieur de la synagogue est saccagé. Beaucoup seront par la suite dénoncés et déportés. Une liste des juifs morts en déportation a été établie en relevant les jugements déclaratifs de décès transcrits dans les registres de décès ou comme mentions marginales sur les actes de naissance. Elle est cependant certainement incomplète, de nombreuses disparitions n’ayant jamais fait l’objet de jugements déclaratifs de décès et en conséquence, d’aucunes transcriptions dans les registres d’état-civil.
Les Malgrés-Nous de Marmoutier
A partir de 1942, les jeunes Alsaciens-Mosellans, filles et garçons, sont assignés au travail obligatoire sous l’uniforme, le Reichsarbeitdienst (RAD) ; les jeunes filles sont souvent employées comme domestiques ou ouvrières agricoles, les garçons recevaient en outre une préparation militaire. Ce travail n’était pas rémunéré, l’objectif est alors de servir le Troisième Reich, de germaniser les populations annexées, notamment en traduisant leurs prénoms, de les soumettre à l’idéologie nazi et de les intégrer à l’armée allemande.
Des Maurimonastériens figurent au nombre de ces Malgré-Nous et de ces Malgré-Elles. Les jeunes hommes sont incorporés de force dans la Wehrmacht et envoyés sur le front russe. Les déserteurs sont fusillés et leur famille risque la déportation en Prusse Orientale.
La Libération
La résistance allemande aura été symbolique, des troncs d’arbres étaient prévus pour former un barrage sur la route de Dimbsthal mais ils n’ont finalement pas été mis en place. Des fuyards se font déloger de différents points du village, dont l’Eglise. Quelques cadavres de soldats allemands seront ramassés le lendemain sur les routes autour du village. Une mitrailleuse est installée dans une grange près de la gare, balayant de son feu les toits du centre-ville. Le Francheville forcera la mitrailleuse au silence en mettant le feu à la grange et les servants de la mitrailleuse se rendront. Petit à petit, les Allemands se font sortir des maisons et se rendent. La pancarte « Adolf Hitler Platz » qui indiquait la place de l’église est arraché. La place est rebaptisée « Place Colonel de la Horie ». La municipalité dédiera plus tard cette place au Général de Gaulle.
Marmoutier est sorti de la Guerre totalement préservée grâce à l’arrivée rapide de la 2ème Division Blindée en novembre 1944, au refus de Leclerc et de De Gaulle d’évacuer l’Alsace en Janvier 1945 et aux efforts des soldats français de la 1ère Armée et Américains de la 7ème Armée pour défendre l’Alsace au début de l’année 1945. La construction de la grotte de Lourdes dans la rue du Sindelsberg marque les remerciements des habitants à Vierge Marie pour sa protection durant la guerre.
L'après-guerre
L’après-guerre sera marqué par les visites symboliques des généraux Leclerc et De Gaulle dont les noms seront donnés aux lieux principaux de la ville et qui resteront dans les mémoires de ceux qui les auront rencontrés.
Le Général Leclerc est accueilli en fanfare en 1945. Les Maurimonastériennes, vêtues du costume alsacien, offrent au libérateur de la ville un tableau en signe de bienvenu et de remerciement. En 1978, c’est au tour de Mme la Maréchal Leclerc d’honorer notre cité de son passage en mémoire de son mari, décédé en 1947, et de la libération de Marmoutier
Le Général de Gaulle, Président de la République, visite Marmoutier le 22 novembre 1959 sous l’acclamation des villageois. A l’occasion de cette visite mémorable, le centre-ville du bourg est barré afin de permettre à l’immense foule de saluer la première personnalité de France à cette époque.